Sleh Hamzaoui, "Viens dans ma ville, viens dans ma rue" (2018)
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L’histoire de l’architecture coloniale (XIXème/XXème siècle) est une aventure éphémère, où un Arlequin venu d’ailleurs s’est amusé à costumer la ville avec une fantaisie étourdissante. Art nouveau, art déco, style néo-classique, néo-baroque, néo-florentin, néo-mauresque…, le style colonial, exaltante alliance des contraires, témoigne de la fusion d’une population cosmopolite, du « nègre lippu », à « l’Arabe au fin profil », à « l’Espagnol poilu », au « terrassier français égaré », au « Grec », au « Maltais », « au Turc » … L’architecture coloniale et ses murs léprosés par la maladie de l’abandon, espaces en voie de disparition, est happée par l’appétit des promoteurs avides d’une architecture du profit, sans histoire ni avenir, vitreuse et appartementeuse. La ville bariolée de bâtisses d’une race ancienne et fatiguée s’affaisse lentement sur ses propres fondations. L’histoire de l’architecture coloniale, c’est pourtant l’histoire de façades ajourées, fenêtres ouvertes sur la ville et sur la rue, libérant une émancipation contagieuse, contrastes aux murs opaques et aux lucarnes étroites des médinas. Histoires de vis-à-vis, je suis vu, je te vois, nous nous voyons. Histoire de dualisme, quand la femme est révélée en pleine lumière à travers les baies béantes d’une ville moderne ou jalousement cachée dans les cloîtres ombragés de la ville traditionnelle. Et que voyons-nous depuis ces balcons coloniaux, nous voyons des hommes en conflit avec eux-mêmes, avec leur mémoire. Dans la rue, nous voyons des immeubles, butin de guerre conservé de l’occupant, des souvenirs, le passé debout, dressé, conquis devant lequel l’homme se contorsionne à la recherche de sa propre identité. Les villes se construisent par à-coups, par couches d’influences superposées laissant à l’histoire un patchwork protéiforme de styles d’époques gravés à jamais, pensons-nous, dans la pierre. Une fois l’espace dépolitisé ne reste plus que l’esthétique ou l’amnésie. La diversité des formes et des genres ne font pourtant qu’enrichir et embellir les peuples.
Georges Olivier
Entrée libre